La Science-Fiction est un genre cinématographique à part entière qui – en plus de concevoir de toute pièce un monde futuriste visuel (Le Los Angeles 2019 pluvieux et nocturne de Ridley Scott dans son film Blade Runner) – propose des réflexions variées et pertinentes.
La notion de la perception du réel (Cf. Allégorie de la Caverne de Platon) est notamment très étudiée dans la culture S.F., en particulier avec les œuvres littéraires de Philip K. Dick.
Au cinéma, il est intéressant de noter l’implication de l’objet télévisuel dans ce thème de la perception de la réalité. Dans le film Matrix des Wachowski sorti en 1999, il y a cette séquence où le personnage de Morpheus expose à Néo le « désert du réel » tel qu’il est véritablement à travers un vieux poste de télévision.
J’ai choisi de me focaliser sur l’œuvre Rencontres du troisième type réalisé par Steven Spielberg et sorti en salles en 1977.
Tout en reprenant cette notion de représentation de la réalité à travers l’objet télévisuel, on peut se demander quel est le rôle de la télévision au sein de l’œuvre de Spielberg, et ce dans un contexte de Guerre Froide ?
De ce fait, nous étudierons deux analyses de séquences aux implications idéologiques relativement opposées et qui sont représentatives d’une technologie nouvelle dans un environnement historique bien précis.
Rappel historique: Le poste de télévision débarque dans les foyers familiaux dés 1953/1954 aux États-Unis, et quelques années plus tard pour les domiciles européens. Cette nouvelle technologie de communication va radicalement réformer le système des propagandes militaires et politiques instauré pendant la Seconde Guerre Mondiale.
1ére analyse de séquence: Roy et la montagne dans le salon:1h15min45sec:
Roy Neary (interprété par Richard Dreyfuss) fait la rencontre rapprochée avec un OVNI. Après cette expérience déroutante, son comportement va se modifier, et il devient rapidement obsédé par une image subliminale dont la forme se rapproche de celle d’une montagne. Sa hantise inexplicable finit par semer le trouble familial et son épouse Ronnie (interprétée par Teri Garr) décide de quitter le foyer domestique avec ses enfants, laissant Roy seul, construisant un gigantesque amas de détritus dans le salon.
Dans cette scène, le poste de télévision est allumé, mais il n’est pas visible dans un premier temps. Le son est présent en fond sonore. Il y a une certaine ambiguïté sur la source des dialogues qui découlent de la télévision. Est ce un personnage hors champ ? Une radio ? Une télévision ? D’autant plus que cette conversation hors champ s’inscrit dans le contexte scénaristique de la scène précédente.
Spielberg ici créé une atmosphère de mystère à plusieurs échelles. L’univers diégétique désoriente le spectateur, le monde tel qu’on le connaît est bouleversé par une irruption fantastique (Que font ces OVNI ? Pourquoi Roy agit de la sorte ?). Dans cette séquence le malaise est à son summum, puisque le héros a brisé son confort familial en dépit de son obsession, et, dans une moindre mesure, le spectateur ignore toujours la source du son hors champ.
Toutes ces questions jusqu’ici sans réponses, vont se résoudre en un simple mouvement de caméra.
L’objectif de l’appareil reste focalisé sur la déambulation de Roy dans le salon.
C’est ainsi que le poste de télévision pénètre dans le champ de l’écran, apportant une première explication sur la dite source sonore jusqu’alors inconnue.
Soudainement, à ce moment de climax dramatique, le poste de télévision va apporter la vérité concernant les agissements incontrôlés de notre héros.
C’est cet élément extérieur (télévision) qui va faire découvrir au personnage principal une première justification de ce mystère enfoui au plus profond de son être et dont lui même en ignorait la cause.
Spielberg garde le même cadrage que précédemment dans la séquence, et par conséquent joue avec l’attention directe du spectateur qui comprend alors l’enjeu narratif quelques instants avant le protagoniste concerné (une des spécialités de la «Spielberg Touch»).
Dans cette séquence bourrée d’ambiguïtés diverses et variées, la télévision d’abord source de mystère, va offrir une vérité évidente pour le spectateur et Roy (complice l’un l’autre). Ce procédé permettant de débloquer le fil narratif du film.
Cette première séquence analysée est le tournant du film en matière de narration. A travers un banal flash d’informations, l’objet télévisuel est ici présenté comme une source de vérité et de révélation.
A travers l’essor de cette nouvelle technologie au sein des foyers américains, le pouvoir de la presse en est renforcé. Une vérité visuelle est montrée au peuple. Les images sont une caractéristique de véracité du réel. (Cf. Cinéma comme art ontologique du réel selon les écrits d’André Bazin).
Dans la décennie qui précéda la sortie du film de Spielberg, plusieurs événements majeurs furent relayés par le «quatrième pouvoir» «(désignation de la presse aux U.S.A., qui symbolise la puissance de son influence). Les médias américains s’emparèrent de sujets lourds, et réussirent à percer à jour certains secrets d’État. C’est le cas du Scandale du Water Gate où Nixon est poussé à la démission via les révélations des journalistes.
Autre exemple, celui de la médiatisation de la guerre du Vietnam. La presse va montrer à la population américaine à travers le petit écran la réalité des faits de guerre, et contribuer à ce que l’opinion publique s’oppose au conflit.
Cette première séquence montre l’objet télévisuel comme source de vérité et de révélation de la réalité, en parallèle avec des événements historiques antérieurs où le «quatrième pouvoir» avait percé à jour la réalité dissimulée par le gouvernement.
2éme analyse de séquence: La rencontre du troisième type: 1h41min20sec:
Après une série de péripéties, Roy et Jillian (interprété par Melinda Dillon) finissent par accéder illégalement à la zone d’atterrissage destinée à la rencontre extraterrestre au pied de la Devil’s Tower. De son côté le Professeur Lacombe (interprété par François Truffaut) s’apprête à recevoir les visiteurs.
Toute la séquence va passer à travers le point de vu de Roy. Il demeure en tant que spectateur à l’action de la zone d’atterrissage. Grâce à sa présence en tant qu’élément perturbateur (si il avait suivit les règles de l’État Major, il n’aurait jamais du assister à cet événement), le spectateur que nous sommes peut ici voir les coulisses et préparations de l’arrivée des OVNI.
Roy lui revêt un rôle tout particulier puisqu’il passe de téléspectateur (première séquence) à spectateur direct (deuxième séquence) pour finir en tant qu’acteur au sein de l’action à la fin de cette scène.
Spielberg va utiliser un procédé récurent dans son film pour élaborer une micro phase de suspens. Il s’agit de focaliser l’objectif de la caméra sur un acteur qui lui scrute le hors champ de manière intriguée. L’attention du spectateur va automatiquement se fonder sur ce qu’il y a à voir en dehors du cadre. A l’inverse de la première analyse de séquence où le spectateur avait une information quelques instants avant le protagoniste diégétique, ici le spectateur est frustré par ce retard de renseignement (Exemple de la séquence du paquebot échoué dans le désert).
Ce procédé de réalisation constitue une phase d’attente pour nous spectateur. Par conséquent le raccord regard qui va suivre cette micro phase, doit être déterminant pour palier et satisfaire le suspens établi au préalable.
Le plan qui va suivre suffit à lui seul pour énoncer la principale implication idéologique qui va émaner de la séquence.
La piste d’atterrissage est présenté à travers ce plan d’ensemble comme un vaste plateau télé. Les spots lumineux éclairent tels la lumière du jour la zone «shootée».
Une gigantesque voix émane des hauts parleurs, afin d’assurer l’organisation de la scène à venir. Cette voix peut être assimilée aux directives du réalisateur télé, ou dans une autre mesure, à une voix off géante qui narrait l’action diégétique du film lui même.
«On est en ligne» explique la parole des hauts parleurs, ce afin de vérifier les signaux sonores et retours audio. Cette affirmation évoque clairement la notion du direct télévisuel ici.
Une multitude d’éléments techniques rappelle le dispositif télé:
-Une régie avec des ingénieurs du son.
-Des dizaines de caméras, afin de multiplier les points de vues au sein de «l’émission».
-Le personnage de Truffaut agit comme un présentateur et/ou réalisateur télé. (d’autant plus évident que l’acteur est un cinéaste majeur du 7ème art).
-La musique, qui revêt le moyen de communication avec les extraterrestres, permet ici le début du «show T.V.». Ainsi on peut l’interpréter comme une sorte de générique qui lancerai «l’émission».
Dans cette scène, il y a une trahison du réel qui s’opère, dans la mesure où les humains présentent une sélection de l’élite qui peut participer à cet événement sans précédent. (plus tôt dans le film, le gouvernement américain faisait le choix de faire évacuer toute la zone habitée autour de la Devil’s Tower en prétextant une catastrophe toxique diffusée en masse par la télévision). L’État Major ne montre pas l’humain standard tel qu’il est. Cette séquence est visible grâce au personnage de Roy qui lui est l’individu lambda mais également assimilable à un élément perturbateur, qui ne devait pas être présent.
Ce vaste plateau de télévision n’est qu’une vaste façade d’illusion et de fausseté du réel. Réciproquement, la globalité des populations humaines ignorent l’existence de cet événement.
La technologie télévisuelle s’inscrit ici dans une logique du trucage, dans la dissimulation du réel.
Dans un contexte de Guerre Froide, il est facile d’y établir un lien avec les techniques médiatiques de propagande. Ce conflit mondial fut avant tout une opposition d’influence et d’idéologies passant par la communication. Ainsi les gouvernements mirent la main sur la télévision, objet principal de persuasion des masses, et transformèrent certaines réalités en fonction de leurs intérêts.
De ce fait, le discours de John F. Kennedy au sujet de la Crise de Cuba le 22 octobre 1962, fut interprété par certains historiens comme un message de propagande.
Dans une tout autre mesure, le premier pas de Neil Armstrong sur la Lune le 21 juillet 1969 fut retransmis en direct et suivi par 500 à 600 millions de téléspectateurs, dans une logique de conquête spatiale entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest. C’est jusqu’à maintenant, le moment de télévision le plus important de tous les temps.
Rencontres du troisième type est un film de Science-Fiction qui évoque cette notion de perception du réel, mais avec un point de vu totalement différent que d’autres pionniers du genre (THX 1138 de George Lucas, Matrix des Wachowski et même Blade Runner de Ridley Scott). Le long métrage de Spielberg évoque ce concept en parallèle avec le contexte historique de Guerre Froide, et l’utilisation de l’outil télé dans la perception du monde, en impliquant des trahisons du réel (propagande, dossiers classés de la CIA qui dissimulent certains événements à l’opinion publique).
Ainsi dans la première séquence, la télévision est représenté comme médium de vérité et de connaissance. Puis dans la seconde analyse, l’utilisation des techniques et outils de la logique télévisuelle (plateau + émission) s’opère comme une façade, une illusion de la réalité (propagande qui cache ou façonne la vérité).
La télévision fut un médium très controversé en terme de son apport au réel. Elle fut défendue par des cinéastes majeurs comme Rossellini, qui croyait au pouvoir éducatif de l’objet à travers son grand projet d’encyclopédie historique.
Puis critiquée par d’autres, comme les théoriciens du concept de l’Hyperréalité. Umberto Eco évoquera la formule de «Le faux authentique».
«Il y a deux catégories de télévision : la télévision intelligente qui fait des citoyens difficiles à gouverner et la télévision imbécile qui fait des citoyens faciles à gouverner.» Jean Guéhenno
Article issu d’un devoir universitaire – Lille III – 2013/2014